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Le céanothe

Je suis une barrière bleue, je suis ancrée là, au milieu d'une longue rue étroite du si joli petit village. Je subie les légères courbes outrageusement bitumineuses. Mon ossature de métal peint rouille, une deuxième couleur s'empare de mon corps en croix de Saint-André soudé. Le sable du temps s'écoule, trop lentement. Je ne sais plus pourquoi j'ai été implanté ici, plus personne ne me regarde, plus personne ne me touche, je ne soutiens plus les mains fragiles des enfants joyeux et des promeneurs égarés. J'aimerai pouvoir arrêter la pluie battante de l'ennui.

 

J'essaye de tordre la matière usinée définissant le rectangle encadrant mon espace défini. Défiant la gravité, je penche d'un côté, puis de l'autre au gré du souffle des vents et du ruissellement des pluies saisonnières. Je voudrai que l'on me regarde à nouveau, j'aimerai entendre les pas des enfants qui courent, et le chuchotement des promeneurs qui passent. J'aimerai connaître la chaleur du soleil de printemps donnant naissance aux bourgeons prometteurs.

 

Je me déforme pour me reformer, je mute. Je deviens une plante vivace enracinée là, dans la terre riche en humus au milieu d'une longue rue étroite du si joli petit village. Je défie les légères courbes bitumineuses enfin réduites. Je suis devenu un céanothe, mon feuillage persiste aux variations capricieuses du climat, avec moi le bleu est roi. Le parfum miellé de mes fleurs enivre les abeilles butineuses. Je vis à nouveau, ici.

Paul Raguenes . décembre 2019

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